La Direction du Renseignement Militaire Entretien avec le General de Division Elie, ancien directeur du Renseignement Militaire 1 - Pourquoi la DRM a t'elle ete creee en 1992 ? L'evolution geostrategique mondiale depuis la chute du mur de Berlin, les enseignements tires des conflits recents et en particulier de la guerre du golfe (role du satellite), l'evolution technologique des capteurs et des systemes d'information ainsi que la reduction des ressources financieres et du format des forces armees ont conduit, dans le cadre de la restructuration globale de ces forces a la creation de la Direction du renseignement militaire. Destinee a prendre en compte les evolutions recentes dans la notion meme de renseignement, dans les capacites des moyens de recherche, d'acquisition et de traitement de l'information, la Direction du renseignement militaire regroupe l'ensemble des services participant a cette activite, jusque la disperses au sein des differents etats-majors et la Delegation generale pour l'armement. Son organisation doit permettre de les gerer, de les coordonner et d'inserer la fonction renseignement dans les systemes informatiques de commandement les plus modernes. La creation de la DRM permet, en outre, de realiser certains objectifs particuliers : ? rationalisation et economie des moyens, ? meilleure coherence interarmees et amelioration de la gestion des personnels. J'insiste tout particulierement sur le parfait esprit inter-armees de cette direction, comme en temoigne l'equilibre dans la repartition des postes en son sein et le fait que de nombreux postes de responsabilites ont des postes tournant. 2 - Organisation de la DRM La DRM, organisme parfaitement interarmees, participe au renseignement de defense et est responsable du renseignement d'interet militaire. Elle est chargee en particulier de conduire la recherche et d'assurer l'exploitation des informations et renseignements recueillis. Elle a une vocation mondiale, meme si, bien entendu, tous les theatres ne revelent pas la meme importance en termes d'interets nationaux. Placee sous les ordres d'un Directeur du renseignement militaire, qui est en ce domaine le conseiller du ministre de la Defense, la DRM releve du CEMA dont elle satisfait les besoins en renseignement d'interet militaire, ainsi que ceux des autorites et organismes du Ministere, des grands commandements organiques et operationnels et ceux des autorites et organismes gouvernementaux concernes. Articulee en trois grands poles : Paris, Creil et Strasbourg, son echelon Central comporte : ? une sous-direction Recherche (SDR) ? une sous-direction Exploitation (SDE) ? une sous-direction Armements-Proliferation (SDA) ? une sous-direction Technique (SDT) ? une sous-direction Ressources humaines – formation ( SDH) ? et un certain nombre de bureaux et organismes rattaches. Elle met en oeuvre des capteurs humains ou techniques qui lui sont soit organiquement rattaches, soit mis pour emploi. 3 - Renseignement au niveau des forces La DRM alimente en renseignement de documentation les organismes de planification permettant ainsi de preparer les plans correspondant aux differentes hypotheses retenues par le CEMA dans son concept d'emploi des forces. Naturellement la DRM ne saurait tout faire a elle seule et il est evident qu'elle doit deleguer aux grands commandements une partie de ses responsabilites. Les commandants operationnels doivent etre a meme de recueillir le renseignement tactique et operatif qui les interesse directement pour la mise en condition des forces qui leur sont (ou seront) affectees. Le renseignement constitue pour les armees, non seulement un garant de securite pour leur propre protection et leurs mouvements, mais aussi une aide essentielle a la decision comme a la planification, un atout majeur pour le succes de leurs actions et un outil indispensable tant au niveau strategique qu'operatif. La DRM constitue une vaste banque de donnees du renseignement d'interet militaire, mise a la disposition des forces qui peuvent obtenir sur demande toutes informations qui les interessent. Elle travaille actuellement a la mise en place de reseaux informatiques auxquels pourront, sous certaines conditions, acceder les grands commandements de facon a donner plus de souplesse au systeme et diminuer les temps de reponse. Il faut tordre le cou a la reputation faite a la DRM de servir plus le "haut"(Ministere, CEMA,...) que le "bas"(les forces). Elle definit la structure renseignement necessaire aux operations, en collaboration avec l'EMIA et les forces, et fait armer par ces dernieres les postes a pourvoir, en fournissant elle meme des personnels, si necessaire. La collecte du renseignement s'effectue comme indique precedemment par l'intermediaire de capteurs, appartenant aux armees ou a la DRM. Les capteurs a demeure comme, entre autres, les attaches militaires ou les stations d'ecoute, ou occasionnels comme c'est le cas lors des operations ou a l'occasion de missions, fournissent aux forces et a la DRM toutes les informations disponibles qui seront ensuite exploitees au niveau central. Toutefois, pour ce qui concerne les informations tactiques, la DRM delegue leur exploitation aux armees. 4 - Enseignements des derniers conflits Le renseignement est diffuse sur demande mais aussi insere, conformement aux besoins, dans les dossiers de preparation des operations. Les dernieres interventions au Rwanda, en Somalie, et le conflit actuel de la Bosnie montrent le role determinant de la DRM et plus particulierement dans les quatre grands domaines suivants : ? Centralisant le renseignement de documentation du theatre d'operation, elle est parfaitement placee pour le rediffuser et repondre aux demandes des etats-majors centraux et des forces sur le terrain. ? Centralisant la mise en oeuvre des capteurs nationaux (ecoutes fixes, imagerie satellitaire, recueil par certains moyens humains) elle a pu, avec l'aide d'une antenne DRM au sein du PC de theatre, coordonner l'action de l'ensemble des capteurs pour le recueil d'information sur le theatre. ? Cumulant une expertise technique inter armee, elle a su fournir les renseignements sur les armements que les forces lui demandaient. ? Beneficiant d'une bonne image de marque aupres des organismes de renseignement allies, elle a su tirer le meilleur profit des echanges de renseignement qu'elle centralise. Bien que les debuts de la DRM aient ete tres satisfaisants, cette Direction n'en demeure pas moins perfectible. Au dela du probleme de la prise de conscience par les forces et leurs unites de la place de la DRM et des possibilites qu'elle offre, elle doit progresser dans le domaine des moyens de transmission. La diffusion montante et descendante du renseignement doit s'effectuer grace a un seul reseau maille qui desserve aussi bien les detachements deployes sur le theatre d'operation que le commandement national. Pour disposer d'un renseignement "unique", il est donc necessaire de disposer d'un reseau particulier devolu au renseignement qui permette un flux montant et descendant de grande capacite. Toute information initiale et tout renseignement elabore doit pouvoir etre fourni a l'echelon demandeur et qui a le besoin d'en connaitre. C'est ce a quoi la DRM travaille pour obtenir un outil performant au service des Hautes Autorites et des Forces. 5 - La France vient avec Helios de se lancer dans le renseignement spatial, quel est l'enjeu ? Le droit de survol universellement reconnu fait du satellite d'observation un instrument privilegie de recueil d'images. Avec le satellite Helios, la France, mais egalement l'Italie et l'Espagne, disposent desormais d'un "oeil" sur le monde permettant de detecter, de reconnaitre et d'identifier des infrastructures, des deploiements, des materiels dans des zones particulieres a partir des images haute resolution prises depuis l'espace. C'est a la DRM qu'est confie l'emploi de ce satellite. Helios est un instrument privilegie pour la prevention et la gestion des crises, pour le controle du desarmement. Il permet egalement de satisfaire certains besoins fondamentaux des autorites gouvernementales et de la Defense. Enfin, les images obtenues sont precieuses pour repondre a des besoins specifiques de preparation de missions et de numerisation du terrain. Cependant, Helios ne remplace aucun des moyens de recherche existants, qu'ils soient humains ou techniques. C'est un capteur optique : il n'y a pas d'image si la zone a couvrir est sous les nuages ! Il n'en demeure pas moins qu'avec Helios, la France a desormais la capacite d'acquerir un renseignement d'ordre strategique qui lui donne une plus grande autonomie d'appreciation de certaines situations, donc une plus grande autonomie de decision. Le satellite optique n'est pas la panacee, mais c'est deja un remarquable outil de souverainete. 6 - Helios est un systeme partage avec l'Italie et l'Espagne. La cooperation de la France, de l'Italie et de l'Espagne dans le programme Helios est tout a fait originale. En effet, pour la premiere fois, trois pays utilisent le meme outil, selon des regles d'emploi communes, chacun restant maitre de ses demandes de missions et des images obtenues. Les capacites du satellite sont partagees entre les trois pays au prorata des investissements consentis soit 79 % pour la France, 14 % pour l'Italie et 7 % pour l'Espagne. Il a donc fallu trouver une "regle du jeu"pour la programmation journaliere du satellite. Des simulations ont ete realisees par les etats-majors francais, italiens et espagnols avant le lancement. Elles ont permis de trouver les compromis necessaires qui permettent d'optimiser le partage des capacites de prises de vues sans deroger aux regles de confidentialite propres a chacun des trois pays. C'est ce que l'on appelle la hierarchisation. 7 - Conclusion Devant tous les chefs militaires rassembles a l'Ecole Militaire le 23 fevrier 1996, Monsieur Jacques CHIRAC rappelait l'importance du renseignement dans la prevention des crises et la projection de puissance : "la prevention est d'abord affaire de renseignement et je confirme la priorite donnee a l'acquisition de moyens spatiaux et au renforcement des services specialises. L'intelligence des situations et la maitrise de l'information conditionnent l'autonomie de decision". Je ne nourris donc aucune inquietude particuliere pour l'avenir de cette maison.